En Allemagne, le modèle social a cessé d’être une « valeur-refuge » et se trouve décidément soumis à rude inventaire. La cogestion qui constitue en Europe le système le plus avancé de participation des salariés aux décisions de l’entreprise et qui est l’un des éléments les plus spécifiques du système allemand de relations professionnelles fait à son tour l’objet d’une sévère remise en question. C’est en particulier la représentation des salariés à parité de sièges et avec voix délibérative dans les conseils de surveillance des grandes sociétés qui est aujourd’hui sur la sellette.
Depuis un certain temps déjà, les chefs d’entreprise et les milieux d’affaires dénoncent le caractère contraignant d’un dispositif qui complique et ralentit les choix stratégiques de l’entreprise et handicape sa réactivité dans la compétition globale. Mais au cours de la période récente, les critiques n’ont cessé de s’amplifier pour dénoncer l’anachronisme croissant de cette « exception allemande » face aux exigences nouvelles qu‘imposent la libre circulation des capitaux et l’intégration européenne. La présence de représentants salariés mandatés et a fortiori de syndicalistes de premier plan dans les organes de contrôle des sociétés défie les règles d’une gouvernance soucieuse de rentabilité et de création de valeur. Après quelques autres, la crise qui secoue actuellement la direction de Volkswagen vient illustrer les ambivalences d’un système qui, sous couvert de démocratie, ne garantit ni transparence, ni efficacité. Par ailleurs, l’avancée récente du droit européen des sociétés, avec l’adoption du statut de la société de droit européen et sa transposition en droit allemand, fait apparaître l’isolement croissant dans lequel la cogestion place les groupes allemands dans un processus de fusions-acquisitions appelé à s’amplifier. Autant d’enjeux très controversés du débat sur la compétitivité qui appellent à repenser un système de gouvernance conçu dans les années 1960 et qui, à la veille d’une échéance électorale décisive, mettent désormais sa réforme à l’ordre du jour.
La cogestion allemande à l’épreuve de la globalisation René Lasserre
Lorsqu’au début des années 2000, l’économie allemande subit de plein fouet les aléas et les erreurs de la réunification, mais aussi l’éclatement de la bulle technologique, les syndicats sont en partie rendus responsables du niveau record atteint par le chômage. Les critiques visent non seulement le choix fait dès les années 1990 d’aligner les salaires est-allemands sur ceux de l’ouest en dépit du fort différentiel de productivité des entreprises, elles portent plus généralement sur les modalités de la politique contractuelle, accusée d’être trop centralisée et indifférenciée et, plus globalement encore, sur la résistance syndicale à une réforme de la protection sociale à même de réduire les coûts du travail. De la part de libéraux avérés, de tels reproches étaient prévisibles. Les attaques frappent pourtant par leur virulence : ainsi, l’économiste Hans-Werner Sinn estime dans son best-seller Peut-on encore sauver l’Allemagne que le « marché du travail (est) étranglé par les syndicats » tandis que Guido Westerwelle (alors président du FDP) qualifie tout simplement ceux-ci de « plaie » et promet, après une victoire aux élections fédérales, de prendre modèle sur Margaret Thatcher pour briser le pouvoir de leur appareil.
Mais il y a plus grave : les vents contraires viennent désormais aussi du camp social-démocrate et du sommet de l’exécutif. Non seulement le gouvernement Schröder pèse sur la politique contractuelle en menaçant, à l’instar de la CDU, du FDP et du patronat, d’abolir la primauté légale de la convention collective de branche (négociée centralement par les états-majors syndicaux) sur les accords d’entreprise (conclus à la base par la représentation élue des salariés – lplus encore, sanctionnant l’incapacité des partenaires sociaux à s’entendre au sein du Pacte pour l’emploi (Bündnis für Arbeit) tant sur une réforme de la protection sociale que sur le principe d’une modération salariale, il tranche dans le vif en annonçant au printemps 2003 l’Agenda 2010.
Le syndicalisme allemand : un résistible déclin Alain Lattard
Le syndicalisme allemand cherche à enrayer son déclin. Bien que nettement supérieur à celui de la France, le taux de syndicalisation, qui était de 33 % en 1980, est tombé à 26 % aujourd’hui. Le syndicat de la métallurgie IG Metall a vu ses effectifs fondre d’un million depuis la réunification, le nombre d’emplois supprimés dans son secteur étant, il est vrai, de un million et demi. La fusion Verdi s’inscrit dans la foulée d’autres rapprochements : en 1996, le syndicat du bâtiment a fusionné avec celui de l’agriculture et de la forêt ; en 1997-1998, le syndicat de la chimie s’est uni à celui des mineurs et de l’énergie, tandis que le syndicat du cuir rejoignait l’IG Metall. Verdi pourrait un jour être rejoint par le syndicat des cheminots, des enseignants (GEW), des professions de l’hôtellerie et de la restauration (NGG) ou encore des policiers.
Il ne devrait rester à terme que trois grands syndicats, contre huit encore aujourd’hui : IG Metall pour la métallurgie, IG BCE pour la chimie et l’énergie, et Verdi pour les services. – (Corresp.)
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