1 – « L’État français », si j’ose dire, cela n’existe pas. Il y a la République […] Et la République à travers toute son histoire, la Ière, la IIe, la IIIe, la IVe et la Ve ont constamment adopté une attitude totalement ouverte pour considérer que les droits des citoyens devaient être appliqués à toute personne reconnue comme citoyen et en particulier les juifs français […] Alors, ne demandons pas de comptes à la République. Mais, en 1940, il y a eu un État français […] 1’État français c’était le régime de Vichy, ce n’était pas la République, et à cet État français on doit demander des comptes […] La Résistance puis le gouvernement de Gaulle, ensuite la IVe République, et les autres, ont été fondés sur le refus de cet État français. Il n’y a pas de controverses !
Entretien du président François Mitterrand avec des journalistes, le 14 juillet 1992.
2 – Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’État français […]
Discours du président Jacques Chirac le 16 juillet 1995 à l’occasion de la commémoration du 53e anniversaire de la rafle du Vel’ d’Hiv.
3 Après avoir évoqué « Robert Paxton, notre maître à tous (sic)», la journaliste Léa Salamé interroge le polémiste Éric Zemmour sur sa remise en cause du travail de l’historienLe registre oral et familier, sans double-négation, n’est pas retouché.
– Léa Salamé
… dans la série des doxas majoritairesDoxa majoritaire : la doctrine, la croyance, l’idéologie dominante, perçue comme plus ou moins obligatoire., à laquelle vous vous vous attaquez, vous vous attaquez à Robert Paxton. Robert Paxton, pour ceux qui ne le connaissent pas, c’est un historien américain qui, en 1973, va sortir ce livre qui s’appelle la France de Vichy […] Ce livre fait référence […] Vous tentez une réhabilitation du régime de Vichy […] ce que dit Paxton, c’est ce qu’a repris ensuite Chirac et Hollande (sic) […] Moi ce que j’aimerais savoir, c’est où vous voulez en venir quand vous vous attaquez à cette doxa […] Pourquoi vous voulez dans ce livre, réévaluer … ou réhabiliter Pétain et Vichy ?
– Éric Zemmour – Je réhabilite rien (sic) […] Y a eu un livre sur Vichy de Robert Aron, un historien […] qui disait exactement c’que j’viens d’vous dire…
Court extrait de l’émission « On n’est pas couché », France 2, 14 octobre 2014.
4 – Dans sa longue complainte sur le déclin de la France, Éric Zemmour laisse percer un mince rayon de lumière : au moins la France de Vichy parvint-elle à sauver 75 % des juifs de France du monstre nazi…Il est difficile de croire qu’il a véritablement lu les statuts de Vichy concernant les juifs. Aucune « préférence nationale » n’y apparaît. Toutes les mesures de Vichy concernant les juifs visaient autant les citoyens français que les immigrés. «Immigré» n’est pas un statut. On aurait dû parler (ou traduire) d’étrangers., mise à part celle du 4 octobre 1940 ordonnant l’internement des « ressortissants étrangers de race juive ». Certaines dispositions, il est vrai, furent prises afin d’exempter les vétérans de guerreVétéran de guerre : mauvaise traduction de « war veteran » qui signifie « ancien combattant ». Aucune incidence sur l’analyse. et les juifs qui avaient rendu à la France des services particuliers (qui n’étaient pas nécessairement citoyens français), ainsi que des familles installées dans l’Hexagone depuis cinq générations. Dans les faits, toutefois, peu de personnes bénéficièrent de ces exemptions, et il arriva que certaines d’entre elles finissent par être déportées […] Le régime de Vichy appliqua ses mesures de restriction aux juifs avec zèle […]
Le livre d’Éric Zemmour rencontre le succès parce qu’il exploite avec habileté la peur du déclin. Le lecteur est porté par sa verve, son talent pour l’invective, son don de conteur et son goût de la provocation. Mais tout ce qui est abordé dans ce livre l’est au travers des verres déformants.
Point de vue exprimé par l’historien américain Robert Paxton dans le Monde, daté 18 octobre 2014. R O. Paxton est l’auteur de La France de Vichy (1940-1944), Paris, 1973 (traduit de l’anglais).
- À l’aide des documents 1 et 2, vous expliquerez pourquoi la reconnaissance des crimes de Vichy a jusqu’en 1995 posé problème et comment cette mémoire a pu se distinguer de l’histoire. L’un des deux présidents a-t-il intégré les résultats des recherches de l’historien Robert Paxton sur la collaboration ?
- La mémoire de Vichy est-elle liée à un clivage droite-gauche ?
- Document 3. De quoi Léa Salamé accuse-t-elle Éric Zemmour ? Qu’est-ce qui distingue le propos de Paxton en 1972-1973 de ceux de Jacques Chirac (1995) ou François Hollande (2012)? En quoi la démarche de la journaliste est-elle aux antipodes de celle de l’historien ?
- Document 3. En quoi la mention de Robert Aron par Éric Zemmour peut-elle être considérée comme une erreur grossière ?
- Document 4. La démarche de Robert Paxton est-elle habituelle chez les historiens ? Comment Paxton analyse-t-il l’ouvrage du polémiste Éric Zemmour ? (Le suicide français, Paris, 2014).
- Montrez avec l’ensemble des documents que la Seconde Guerre mondiale reste un enjeu mémoriel en France.
NB. 2. Fr. Hollande a tenu les mêmes propos que J. Chirac mais a été attaqué sur sa droite pour cela 3. Léa Salamé accuse son interlocuteur de réhabilitation. Condamnation et réhabilitation ne relèvent pas de la connaissance historique. Léa Salamé semble par ailleurs considérer qu’on ne doit pas remettre en cause Paxton. Or, Paxton est suivi parce qu’il a effectué un travail rigoureux et pertinent et non parce qu’il s’agirait d’une doxa obligatoire. 4 . Zemmour met Aron sur le même plan que Paxton. Or, Aron était d’abord un acteur-témoin. De surcroît, il ne disposait pas d’archives comme celles consultées par Paxton. Son ouvrage n’est pas bardé de références comme celui de Paxton. 5. R. Paxton intervient dans le débat public comme il l’avait fait comme témoin au procès Papon. Cette démarche permet aux historiens d’occuper le terrain contre les approximations des journalistes et des polémistes mais elle expose l’historien à passer à son tour pour un polémiste impliqué dans les querelles du jour. R. Paxton peut d’ailleurs écrire son article en tant que personne citée (droit de réponse légal) ou en tant qu’acteur du débat public.