Prochain épisode : permanences et mutations de la société française (1870–1914).

Aborder cette nouvelle question dans le cadre de ce nouveau programme que d’aucuns ont eu tendance à considérer comme «vieillot» suppose plutôt de la part de ceux qui ont tendance à le trouver comme tel, une certaine modestie.

Cette question permet d’aborder un certain nombre de sujets qui s’inscrivent clairement dans la nécessité de de faire comprendre, à des jeunes générations, comment aborder un certain nombre d’éléments constitutifs du socle républicain.

La présentation des différentes questions qui composent ce thème 3 avec la mise en œuvre du projet républicain, les permanences et mutations de la société française, métropoles et colonies, donne un petit peu le vertige tant le volume des connaissances et la quasi exhaustivité des questions abordées peuvent paraître volumineux.

On ne peut éviter d’aborder la question du volume horaire dont l’histoire et la géographie disposent désormais dans le cadre de la réforme des lycées.

Cela doit nous amener à comprendre que, encore une fois dans un volume horaire contraint, et si l’on souhaite apporter autre chose qu’un vague saupoudrage, ce dont les zélateurs des sciences de l’éducation pourraient se contenter, il conviendra d’avoir une approche extrêmement rigoureuse, qui ne permettra pas vraiment l’utilisation de ces strass et paillettes préconisées par les « innovants » qui se répandent sur Internet.

Le choix pour cette séquence s’inscrit délibérément dans la forme du cours magistral qui n’empêche pas, quoi qu’on en dise, la participation active des élèves, on évitera de dire apprenants, dès lors qu’ils ont compris que rien ne s’acquiert jamais sans efforts ni attention.

I. Installer et consolider la République

A. Un temps de rupture, la Commune de Paris.

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III. Le temps des confrontations

A. Les forces politiques en présence

Pour traiter de cette partie il est évidemment possible de faire un de tableau qui permettra de fixer un certain nombre de choses, y compris en termes d’idéologies politiques.

L’intérêt de ce travail serait de rattacher ces références politiques au temps présent en montrant les permanences et les ruptures. Cela pourrait se faire en enseignement moral et civique.

Tendance politique Principaux objectifs Personnalités Période / événements
Droite nationaliste/ Monarchiste
Action française
Militariste / Accrochée à l’idée de la revanche /
Hostile au parlementarisme et à la République
Hostile au capitalisme libéral / Parfois antisémite
Général Boulanger
Paul Déroulède
Maurice Barrès
Charles Maurras
Édouard Drumont
Crise boulangiste 1889
Scandale de Panama 1889 – 93
Affaire Dreyfus 1894 – 1898 – 1906
Droite libérale Favorable au libre échange et au monde des entrepreneurs.
Attachée  à l’ordre mais également aux principes démocratiques
et finalement, à la République. Comités électoraux plus que parti structuré.
Adolphe Thiers
Léon Say
De la Commune de Paris à 1899. En alliance avec les Républicains modérés.
Républicains modérés
Opportunistes
La frontière est poreuse entre les deux courants de la droite libérale et des républicains modérés.
Réformes graduelles et libéralisme en politique. À l’origine des Lois de liberté. Favorables à la colonisation.
Léon Gambetta
Jules Ferry
Jules Grévy
Au pouvoir de 1879 à 1899.
Les Radicaux Premier parti de France fondé en 1901. Anti-cléricaux, partisans de réformes sociales et sociétales. Parfois anti-coloniaux et critiques à l’égard de l’armée. Divisés entre proches des modérés et proches des socialistes. Waldeck Rousseau
Émile Combes
Georges Clemenceau
Au pouvoir de 1899 à 1914.
Les socialistes Division Nord / Sud avec une nébuleuse de groupes qui finissent par fusionner en 1905. Tendances diverses – Réformistes avec attachement à la République et au suffrage universel et patriotes. Ils s’opposent au courant révolutionnaire.  Références variables à la pensée marxiste. Jean Jaurès
Jules Guesde
L’extrême gauche Anti-autoritaire avec l’anarchisme qui se divise entre partisans de la propagande par le fait (Actions violentes) et anarcho-syndicalistes.
Hostilité au suffrage universel
Ravachol
Louise Michel
Octave Mirbeau
Actions violente entre 1890-1913 et quasi disparition à la veille de la guerre de 1914.

Pour disposer de quelques éléments de réflexion, et surtout des précisions sur les personnalités de la droite au début de IIIe République, on pourra se référer à ce travail.

Droite _plurielle_ 1870-1958

B. Les crises de la République

Dans un contexte de crise économique, liée à un ralentissement cyclique de l’activité, un mécontentement s’exprime dans tous les milieux sociaux. Le libre-échange dans le domaine agricole pénalise les agriculteurs, qui obtiennent à partir de 1892 l’adoption de lois protectionnistes, (lois Méline), tandis que la baisse d’activité exerce une pression sur les salaires, mais aussi sur les revenus de la rente.
Des scandales politico-financiers éclatent, largement mis en avant par la presse qui utilise très largement sa liberté toute neuve. (Loi du 29 juillet 1881).

La presse devant le krach d’une banque catholique : L’Union Générale (1882) 

On pourra aborder :

1. La faillite de l’union générale de 1882.

Cette banque fondée par des grandes familles catholiques est acculée à la faillite, ce qui conduit à la ruine de ses déposants. Cela conduit à réveiller une forme de guerre de religion en reprochant cette faillite des « bons catholiques » à la banque protestante Lazard et surtout à la banque juive Rothschild.
C’est probablement de cette époque que date cette expression synonyme de richesse que l’on associe aux juifs. Il s’agit là d’un des ressorts de l’antisémitisme.

2. Le scandale de Panama

 

On peut reprendre des éléments de récit pour aborder la ruine de près de 100 000 épargnants à qui l’on avait présenté l’achat d’actions pour la construction du canal de Panama comme une excellente affaire et un placement sûr.
Des personnalités majeures comme Ferdinand de Lesseps, le constructeur du canal de Suez, et Gustave Eiffel, le concepteur de la tour qui porte son nom, et qui venait d’être inaugurée en 1889, ont procédé à des levées de fonds et à des augmentations de capital qui ont été utilisées pour inciter des parlementaires à voter des lois favorables à la compagnie du canal de Panama, ainsi que les journalistes, invités à montrer la construction du canal de Panama sous un jour favorable.
La révélation de cette corruption par Édouard Drumont qui ne fait pas mystère de ses opinions radicalement antisémites a donné un tour particulier à ce qui relevait tout d’abord d’une escroquerie.

Le scandale de Panama se solde le 20 mars 1893 par la condamnation à 5 ans de prison d’un ancien ministre des travaux publics, Baïhaut, qui a eu seul la naïveté d’avouer son implication dans cette gigantesque escroquerie. Parmi les autres inculpés, Ferdinand de Lesseps et Gustave Eiffel échappent de justesse à la prison grâce à une prescription bienvenue.  

La référence au veau d’or, cette divinité construite, selon la référence biblique, pendant l’exode des hébreux, avec le personnel politique qui s’incline devant lui, entretient une forme de climat de défiance à l’égard des députés qui se sont laissés, pour certains d’entre eux, corrompre.
Un patron de presse très important, Émile de Girardin, qui avait au départ dénoné le projet, a fini par rejoindre le conseil d’administration de la compagnie du canal de Panama.

 

 

3. La crise boulangiste

la bataille électorale-caricature boulangiste de 1888-Alfred-Legrand-dans-la-diane

Jugement de Zola sur l’entreprise du général Boulanger :

« Boulanger ! C’est un pieu surmonté d’un chapeau, un chapeau galonné et empanaché ! Pas autre chose. Et le pire, c’est que ce pieu répond à un besoin mal dissimulé de la nation, au besoin d’une domination quelconque : royauté, empire, dictatoriat, gambettisme, ou boulangisme.

Quoi que nous en disions, nous n’empêcherons pas que durant dix-huit siècles la France n’ait été un pays résolument monarchique. L’échine de tout Français porte le pli de cette longue sujétion. Les globules de notre sang sont monarchistes. Et nos aspirations vers la République, notre beau rêve d’une nation qui se gouverne elle-même, sont en perpétuel conflit avec ces puissants vestiges d’atavisme.

Je n’en veux pas chercher d’autre preuve que dans le spectacle d’erreurs, de bêtises et d’impuissances que nous ont offert ces dix-huit dernières années et qui est bien fait pour désespérer un observateur, même indifférent et patient, bien fait surtout pour désespérer la foule – cette inconsciente : la foule qui, sans le raisonner et le discuter, se ressent du malaise qui pèse sur nous tous et qui, vaguement, cherche à s’en évader, fût-ce pour se jeter dans les bras d’un dictateur. »

(Interview donnée au Figaro le 29 mars 1888 ; texte publié dans les Entretiens avec Zola, Presses de l’Université d’Ottawa, 1990, p. 22)


Questionnement :

Dans quel contexte économique et social se développe la crise boulangiste ?
Quels sont les atouts de cette personnalité ?
Comment Émile Zola explique-t-il le succès de cette entreprise ?

4. L’affaire Dreyfus

Dans le volume horaire imparti il semble difficile de faire une étude de cas en classe, sauf dans le cadre d’un devoir en temps limité.
On pourra prendre la caricature de Caran d’Ache comme document d’accroche, pour construire un récit sommaire en insistant sur la profonde division du pays qui résulte de cette affaire.
Elle contribue à structurer l’essentiel des prises de position des courants politiques jusqu’en 1940.

L’affaire Dreyfus contribue à favoriser l’organisation des ligues antisémites et nationalistes, mais aussi la gauche qui après, pour une partie d’entre elles, certaines hésitations à défendre un officier, issu d’une famille bourgeoise, s’engage autour de la défense des droits de l’homme. L’engagement de Jean Jaurès en faveur d’Alfred Dreyfus contribue à rapprocher, dans un gouvernement de défense républicaine les socialistes les radicaux et une partie des républicains modérés.

C. Le mouvement ouvrier et la République

  1. Le socialisme

Sous le Second Empire et sous la IIIe République jusqu’en 1914 la société française reste majoritairement rurale rurale même si les effectifs des ouvriers d’industrie augmentent rapidement pendant la période.

Même si les ouvriers d’industrie restent minoritaires dans la société française, ils constituent une sorte de « monde à part » qui perd très rapidement les liens existants dans la période du second empire avec le monde rural. Des concentrations ouvrières se situent à proximité des zones de production, avec un habitat spécifique en périphérie urbaine, dans des nouveaux quartiers industriels, avec un mode de vie qui le différencie du reste de la société. Issus de la petite bourgeoisie, des intellectuels se préoccupent de la « question ouvrière », et contribuent à la diffusion de doctrines politiques et sociales en son sein.
Les révolutions parisiennes de juin 1848 et la commune de Paris, même si elles ne sont pas majoritairement menées à part des ouvriers d’industrie, marquent le début de la constitution d’une « classe ouvrière » dont les revendications sociales sont propres.
Karl Marx parle alors de « conscience de classe ».
C’est autour de la « question ouvrière » que ce constituent les mouvements socialistes, d’inspirations diverses, du socialisme libertaire au marxisme.
Le socialisme français, unifié, malgré des différences internes, en 1905 avec la création de la section française de l’internationale ouvrière, (SFIO), affirme vouloir le renversement du capitalisme mais sans forcément définir précisément les moyens d’y parvenir. (Voie électorale ou révolutionnaire ?)

 

2. Le syndicalisme

L’origine du syndicalisme est double.

Avec le développement de l’industrialisation, des sociétés de secours mutuels se constituent, elles aboutissent la constitution des « bourses du travail ».
En même temps, devant l’échec de l’anarchisme utilisant la propagande par le fait, c’est-à-dire les actions violentes contre les représentants de l’État, des militants socialistes libertaires investissent l’action syndicale.

Cela aboutit à la création, lors du congrès de Limoges, en 1895 à la création de la Confédération générale du travail, et au terme de débats internes, particulièrement vifs, à une prise de distance à l’égard du mouvement socialiste qui se constitue en même temps.
Ce texte fondateur du syndicalisme français s’intitule : « la charte d’Amiens ».
Deux syndicats actuels s’en revendiquent, la confédération générale du travail, héritière du congrès de Limoges, et la scission de 1947, confédération générale du travail–Force ouvrière, que l’on connaît mieux sous l’acronyme FO.

LE TEXTE DE LA CHARTE

«Le Congrès confédéral d’Amiens confirme l’article 2, constitutif de la CGT : la CGT groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat.

Le Congrès considère que cette déclaration est une reconnaissance de la lutte de classe, qui oppose, sur le terrain économique, les travailleurs en révolte contre toutes les formes d’exploitation et d’oppression, tant matérielles que morales, mises en œuvre par la classe capitaliste contre la classe ouvrière.

Le Congrès précise, par les points suivants, cette affirmation théorique: dans l’œuvre revendicatrice quotidienne, le syndicalisme poursuit la coordination des efforts ouvriers, l’accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates, telles que la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc. Mais cette besogne n’est qu’un côté de l’œuvre du syndicalisme; il prépare l’émancipation intégrale, qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste; il préconise comme moyen d’action la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera, dans l’avenir, le groupe de production et de répartition, base de réorganisation sociale.

Le Congrès déclare que cette double besogne, quotidienne et d’avenir, découle de la situation des salariés qui pèse sur la classe ouvrière et qui fait, à tous les travailleurs, quelles que soient leurs opinions ou leurs tendances politiques ou philosophiques, un devoir d’appartenir au groupement essentiel qu’est le syndicat.

Comme conséquence, en ce qui concerne les individus, le Congrès affirme l’entière liberté pour le syndiqué de participer, en dehors du groupement corporatif, à telles formes de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander, en réciprocité, de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu’il professe au dehors.

En ce qui concerne les organisations, le Congrès déclare qu’afin que le syndicalisme atteigne son maximum d’effet, l’action économique doit s’exercer directement contre le patronat, les organisations confédérées n’ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre en toute liberté la transformation sociale.»

Conclusion de la première partie

La défaite de 1870 permet aux forces d’opposition qui s’étaient organisées sous le second empire de proclamer, le 4 septembre, la République.
Pour autant, la majorité des Français, qui s’exprime lors des élections législatives de février 1871 reste attachée à une forme de monarchie.
Cela explique l’échec de la commune de Paris comme première grande tentative de transformation sociale radicale.
Les institutions de la IIIe République sont issues d’un compromis entre des monarchistes modérés et les républicains.
Les tentations de retour à une forme autoritaire du gouvernement échouent, et les républicains s’installent solidement au pouvoir à partir de 1879.
Un travail législatif important avec « les lois de liberté », le rôle de l’école, mais aussi de la conscription, permettent de faire progresser les valeurs républicaines dans l’ensemble de la société.
Cela n’exclut pas des tensions politiques majeures mais les institutions résistent la forme républicaine de gouvernement n’est plus contestée que par une minorité, certes parfois bruyante, mais au final peu efficace.

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Prochaine partie : permanences et mutations de la société française (1870–1914).