Un petit extrait de l’historien Jan T. Gross et un point de vue intéressant sur les mécanismes des violences de masse et de l’usage de la haine de l’autre dans les régimes totalitaires.
Les objectifs mais aussi les méthodes de la politique totalitaire ont mutilé les sociétés où ils ont été déployés, et, de toutes, l’institutionnalisation du ressentiment a été la plus mutilante. Les populations soumises au pouvoir de Staline ou de Hitler ont été à maintes reprises montées les unes contre les autres, poussées à suivre les plus vils instincts de l’aversion mutuelle. Il n’est pas de clivage social concevable qui n’ait été exploité, d’antagonisme qui n’ait été exacerbé. A un moment ou à un autre, la ville a été montée contre la campagne, les ouvriers contre les paysans, la moyenne paysannerie contre la petite, les enfants contre leurs parents, le jeunes contre les vieux, et les groupes ethniques les uns contre les autres. La police secrète a encouragé les dénonciations, elle s’en est nourrie, : le “diviser pour mieux régner” sous sa forme extrême. De plus, la mobilisation sociale et la participation des masses aux institutions et rituels parrainés par l’État étant obligatoires, la population est devenue, à des degrés divers, complice de son propre assujettissement.
Jan T. Gross, Les voisins– 10 juillet 1941- Un massacre de juifs en Pologne, p. 23-24.
Ed. Les Belles Lettres, 2019.