Présentation de la séquence
N’étant pas présent le 22 octobre dans mon lycée, je m’étais tout de même enquis auprès de mes élèves de leur intérêt pour la lettre de Guy Môquet et le débat qui a entouré sa lecture dans les établissements scolaires. Sentant de multiples interrogations poindre, je décidai d’y consacrer des séances d’ECJS (4 heures au total) en utilisant des documents dont la diversité devait permettre d’examiner la diversité des points de vue. En voici la liste :
La lettre de Guy Môquet et la justification de sa lecture par le ministre de l’Education nationale dans le BO :
ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/bo/2007/30/encart30.pdf
L’article de Jean-Pierre Azéma qui se trouve dans le numéro 323 (septembre 2007) de L’Histoire, ou en ligne:
http://www.histoire.presse.fr/content/recherche/article?id=6542
Le texte rédigé par le CVUH :
http://cvuh.free.fr/spip.php?article131
L’interview d’Henri Guaino dans Libération, et quelques ajouts au micro de RTL :
http://www.liberation.fr/actualite/politiques/286184.FR.php
http://www.rtl.fr/info/article.asp?dicid=571362
Le blog « s’il n’y avait que les élèves » :
http://profseteleves.blogs.liberation.fr/silnyavaitqueleseleves/2007/10/merci-henri.html
J’ai également utilisé le témoignage (anonymé) d’une collègue racontant l’intervention de deux personnes extérieures à son lycée le 22 octobre, ainsi que les réactions de ses élèves. Ce témoignage, utile à ma démarche, n’a pas vocation à être diffusé, mais je ne doute pas que les collègues intéressés pourront aisément lui en substituer un autre, ou même évoquer comment s’est déroulée cette journée du 22 octobre dans leur établissement.
Déroulement des séances
Nous avons d’abord lu (silencieusement) la lettre en classe ainsi que sa présentation par Xavier Darcos dans le BO d’août qui en justifie la lecture dans les établissements. Cela a permis d’entamer une discussion sur des points fondamentaux mais rarement évoqués avec les élèves (distinction mémoire/souvenir, place particulière de l’enseignement de l’histoire en France, liens histoire-mémoire-politique…). Cette première séance a donc été satisfaisante si ce n’est que je n’ai entendu que les élèves déjà bien informés (et franchement hostiles à cette commémoration, surtout par anti-sarkozysme).
L’article d’Azéma paru dans L’Histoire de septembre a ensuite permis de recontextualiser le document et de saisir l’ambiguïté du symbole. Les derniers mots d’Azéma (« caporalisation mémorielle ») avancent les premiers arguments expliquant les réticences des historiens. J’ai tout de même dû expliciter le contexte général, le chapitre sur la Seconde Guerre mondiale n’arrivant qu’en fin d’année (et les souvenirs de troisième étant déjà bien lointains…). Après discussion, la position de Jean-Pierre Azéma a été bien comprise.
Le texte rédigé pour l’occasion par le CVUH approfondit la critique envers la décision de lire la lettre de Guy Môquet. Il n’a guère suscité de commentaires parmi les élèves. Ils auraient eu peut-être davantage à dire si l’intervention du Comité avait été davantage replacée dans le contexte de l’instrumentalisation croissante du passé (lois mémorielles…), ce que je n’ai fait que partiellement (alors que je l’avais pourtant prévu, mea culpa). Ceci dit cette question de l’instrumentalisation de l’histoire avait déjà été évoquée assez brièvement lors de la première séance, elle apparaît clairement dans le texte du Comité, et elle a pu revenir par la suite au cours des discussions.
Face aux réticences des historiens (et des professeurs), il y a les arguments d’Henri Guaino. A partir de l’interview qu’il a donnée à Libération, ainsi que de l’extrait de son intervention sur RTL, les élèves ont pu s’interroger sur les obligations de nous autres fonctionnaires, et sur notre rapport avec les décideurs. Curieusement, c’est à moi qu’il est revenu de défendre le point de vue du pouvoir en place, les élèves intervenants supportant visiblement mal les déclarations à l’emporte-pièce d’Henri Guaino.
Mais que s’est-il vraiment passé dans les établissements le 22 octobre ? Faute de pouvoir m’appuyer sur le propre vécu de mes élèves, j’ai eu recours au témoignage d’une collègue d’un autre lycée qui a reçu dans sa classe un résistant et un vétéran de la guerre d’Algérie pour évoquer la mémoire de Guy Môquet. Mes élèves ont pu discuter de l’utilité d’une telle intervention en classe, et ils l’ont jugée assez sévèrement. Je leur ai ensuite distribué la suite de ce témoignage, évoquant cette fois la réaction des élèves de ma collègue, réaction dans laquelle se sont retrouvés les miens, du moins ceux qui se sont exprimés. Il apparaît en substance que l’intérêt de la lecture de la lettre n’était pas évident pour eux.
Je voulais également qu’on entendît la « vox populi » (plus partagée que le monde enseignant), aussi ai-je utilisé pour finir un blog de Libération qui s’intitule « S’il n’y avait que les élèves ». L’auteur, un collègue exerçant dans un collège difficile de la banlieue parisienne, y a produit un billet qui m’intéressait moins que les réactions pour le moins contrastées des commentateurs… Une phrase a suscité particulièrement le débat, tant sur les commentaires du blog que dans ma classe : « je ne sais pas ce qu’est la France ». Même les élèves les plus compréhensifs à l’égard du corps enseignant ont eu du mal à admettre la validité de cette affirmation, surtout venant d’un professeur d’histoire-géographie. Une lecture plus attentive du billet et des commentaires a permis de distinguer dans cette affirmation ce qui relevait de la provocation et ce qui incitait à la réflexion (est-il si simple de définir un pays, surtout devant des élèves venant d’horizons divers et lointains ?). Par ailleurs la diversité des opinions à l’égard de la commémoration du 22 octobre est clairement apparue, ainsi au terme des séances chaque élève a pu se faire sa propre idée sur l’opportunité de la commémoration de Guy Môquet.
Bilan
Tout ce qui précède n’est qu’un aperçu, forcément limité, de ce qui s’est fait et dit au cours de ces quatre heures d’ECJS. Mon seul regret vient des élèves qui, bien que sollicités, se sont tus, alors même que leur point de vue divergeait visiblement de celui de leurs camarades qui prenaient (voire monopolisaient) la parole pour critiquer cette commémoration. Ce mutisme de certains élèves peut s’expliquer par leur passivité habituelle (attitude purement consumériste vis-à-vis de l’école), mais également par le sentiment qu’ils se trouvaient en minorité, ce qui ne les a guère incité à échanger des arguments avec leurs camarades. Peut-être même avaient-ils l’impression d’être en porte-à-faux par rapport à leur professeur et à son opinion supposée.
Sur le fond, plusieurs points du programme de première d’ECJS ont été abordés, sans que les élèves s’en rendent comptent d’ailleurs, tout absorbés qu’ils étaient par le débat autour de la lettre de Guy Môquet. Ainsi a été posée la question de la légitimité de cette commémoration voulue par un pouvoir politique démocratiquement élu, celle du rôle politique d’une association comme le CVUH, celles des nouvelles formes d’expressions citoyennes à travers un blog… Autant d’idées sous-jacentes qui pourront être réexploitées dans des séances ultérieures.
Pour m’aider à établir un bilan plus précis de ces séances, j’ai demandé à mes élèves de remplir un rapide questionnaire (anonyme). Il leur était d’abord demandé quel document parmi ceux étudiés les avait le plus intéressés, et celui qui les avait le plus fait réagir. C’est la lettre de Guy Môquet qui arrive en tête des documents ayant le plus intéressé les élèves (près d’un tiers des voix), suivi de près par le blog et ses commentaires qui est aussi le document ayant le plus fait réagir (près de la moitié des suffrages), l’interview d’Henri Guaino arrivant assez loin derrière. Cela montre d’abord que la lettre elle-même, en dépit de la publicité faite, était mal connue des élèves, ensuite le goût de ces derniers pour les documents polémiques.
Une seconde question leur demandait quelle aurait été leur attitude face à cette commémoration s’ils avaient été enseignants, ce qui revenait à les sonder sur leur adhésion à celle-ci. Ils avaient le choix entre quatre propositions : accepter la commémoration comme définie au BO ; faire lire cette lettre en ECJS et expliciter les enjeux du débat autour de cette commémoration (l’attitude de leur professeur) ; intégrer la lettre de Guy Môquet dans l’étude la Seconde Guerre mondiale ; refuser catégoriquement de lire cette lettre. Un cinquième des élèves n’a pu se résoudre à choisir une seule proposition, d’où des votes doubles montrant une certaine hésitation face à la complexité du débat. Les attitudes extrêmes, refus catégorique de lire la lettre (3 voix) et application stricte du BO (2 voix) sont très minoritaires. Près des deux tiers des élèves auraient choisi des séances d’ECJS (est-ce l’influence de leur professeur ?), mais l’intégration de la lettre dans le cours sur la Seconde Guerre mondiale est aussi bien représentée (40 % des élèves) en raison des votes doubles.
Une troisième question demandait aux élèves s’ils avaient trouver ces séances d’ECJS utiles. D’aucuns se sont plaints de la longueur des séances, ce débat ne méritant pas à leurs yeux qu’on y consacre quatre heures. Une très large majorité a néanmoins apprécié les éclaircissements apportés tant sur le contexte historique que sur les enjeux du débat actuel. Une seule élève a écrit avoir perdu du temps, évoquant le retard pris dans le programme (sous-entendu d’histoire-géographie puisque, c’est bien connu, les heures théoriquement dévolues à l’ECJS sont uniquement là pour que les profs puissent boucler ledit programme en temps et en heure…).
Enfin une dernière question les invitait à noter sur une échelle de 0 à 10 l’objectivité de leur professeur. Les notes attribuées vont de 5 (ouf ! je ne suis pas descendu sous la moyenne) à 10 (oui j’ai un fan-club dont les membres ont perdu tout sens critique), un expert en docimologie m’attribuant même un très original 7,9742, le tout aboutissant à une moyenne proche de 7,5. Il est évident que les élèves ont fait preuve d’une certaine indulgence dans leur notation, même si elle témoigne de mes efforts pour proposer le point de vue le plus neutre possible. Certains élèves ont assorti leur note d’un commentaire : « vous avez tout à fait réussi à nous faire notre propre opinion, même si on a bien compris la vôtre ». Ou cet autre commentaire pour expliquer une note très indulgente : « 9, bien que l’on [le professeur] ressente l’envie ou non de lire la lettre ou de présenter le contexte historique pour désillusionner ces élèves insouciants ». Le prof ? « un être humain quoi ».