La « trève » du 25 décembre
La date avait-elle été choisie au hasard ? Le calendrier orthodoxe fixant Noël au début du mois de janvier, était-ce sinon un « cadeau » adressé aux Occidentaux, du moins une main tendue ? Le 25 décembre dernier, Vladimir Poutine semblait en effet entrouvrir une porte en se disant « prêt à négocier avec tous les participants » au conflit. Dans le même temps, il continuait de souffler le chaud et le froid en fustigeant des Occidentaux refusant tout « pourparler », le tout sur fond d’alliance militaire renforcée avec la Biélorussie et d’exercices militaires conjoints avec la Chine.
Gagner du temps
Plus qu’une perspective de paix immédiate, il fallait sans doute d’abord lire dans l’évocation de négociations éventuelles un moyen pour le Kremlin de gagner du temps et de ménager une image déjà dégradée, auprès de ses alliés comme de son opinion publique. C’était aussi le signe que la fatigue de la guerre s’installait, dix mois presque jour pour jour après le lancement de « l’opération militaire spéciale » le 24 février 2022. Une fatigue partagée car, dans nos démocraties, le soutien à l’Ukraine représente un poids économique certain, même si un hiver pour l’instant peu rigoureux l’allège. Chaque décision est précédée de querelles byzantines péniblement surmontées. Côté russe, les paramilitaires stipendiés par le groupe Wagner sont, depuis plusieurs mois maintenant, recrutés… dans les prisons.
Le « brouillard de la guerre » rend difficiles à lire les avancées et les reculs sur le terrain. Tout pronostic est hasardeux, mais les objectifs et la feuille de route de chacun ne sont pas non plus clairement – et encore moins officiellement – établis. Le rapport de force, malgré l’usure qu’il génère, ne semble pas augurer d’une prise de conscience sur la nécessité de négocier.
Un conflit dans l’impasse
Pour l’instant, c’est donc le bras de fer qui continue ; Russes comme Ukrainiens tentent très classiquement de renforcer leur position. Les premiers poursuivent donc leurs bombardements sur les infrastructures vitales, les autres s’apprêtent à recevoir une nouvelle enveloppe d’aides, des batteries de missiles Patriot et, désormais, des chars lourds. Vladimir Poutine, quant à lui, a bien appelé de ses vœux un cessez-le-feu début janvier. Mais c’était un gage à destination de l’Église orthodoxe, aussi arc-boutée que le Kremlin sur le concept de « Russie historique ». Moscou demeure donc inflexible quant au statut des territoires russophones en Crimée et dans le Donbass.
L’impasse judiciaire
Mettre un terme aux hostilités, d’une quelconque manière, se heurterait aussi à la question judiciaire posée depuis plusieurs mois. Des procédures ont déjà été engagées concernant des actes de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocideL’article 2 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (1948) et l’article 6 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (1998) entendent par génocide « l’un quelconque des actes ci-après commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : meurtre de membres du groupe ; atteinte à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ; transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. ». A priori, nombre d’exactions rapportées et déjà documentées semblent rentrer dans le cadre défini par les Nations Unies pour le crime de génocide1. Des éléments matériels ont été collectés à foison dans ce sens. Mais ce processus sera extrêmement long et compliqué à mettre en œuvre. Le Statut de Rome et la Cour pénale internationale (CPI) qui s’y appuie ne sont pas pleinement reconnus par la Russie (qui pèsera de tout son poids diplomatique, notamment à l’ONU, pour entraver toute action qui lui serait préjudiciable) ou par la Chine (allié indéfectible de Moscou). Cette dernière joue et continuera de jouer à l’excès la temporisation, par crainte d’un dangereux précédent quant à la question du traitement des Ouïghours.
L’impasse géopolitique
Enfin, on peut percevoir à quel point un simple début de normalisation des relations Russie-Ukraine semble improbable en pensant, par comparaison, aux tensions persistantes entre la Turquie et l’Arménie, ravivées par exemple en 2020 autour du Haut-Karabagh.
Rejoindre la table de négociations éventuelles attendra donc, et aucun des deux dirigeants ne souhaite faire le pas décisif dans cette direction. Même une situation de gel, « à la coréenne », semble en l’état très improbable.
Des précédents historiques ?
L’évolution des formes de guerre : étude critique de documents
HGGSP terminales – Thème 2 – Axe 1 Gilles Legroux | Oct 1, 2022 | Thème 2 – Faire la guerre, faire la paix : formes de conflits et modes de résolution
Toutefois, des conflits comparables en certains points à celui qui déchire Russie et Ukraine ont par le passé été résolus. Des destructions massives, touchant les populations civiles et suscitant une haine viscérale entre deux peuples, ont ainsi été occasionnées par deux guerre totales entre 1914 et 1945. France et Allemagne se sont néanmoins réconciliées en dépit d’Oradour, « Boutcha français » de l’été 1944. La Yougoslavie fut quant à elle un théâtre de conflits intégrant pleinement la logique génocidaire d’épuration ethnique. Dans les deux cas, une nouvelle forme de justice a été expérimentée avec des tribunaux internationaux. Aujourd’hui, les pays de l’ex-Yougoslavie se sont tous, quoiqu’à des rythmes différents, arrimés au processus d’Union européenne, conditionné à une réconciliation de la « poudrière des Balkans ».
Un contexte géopolitique peu propice à une réconciliation…
Toutefois, le règlement de ces conflits reste parfois bancal ou repose sur des ressorts absents de la situation russo-ukrainienne. Dans le cas franco-allemand, le contexte d’après-guerre a fortement incité au rapprochement. La guerre froide, d’abord, ne laissait guère d’autre choix que de s’unir face à la « menace rouge » qui grossissait à l’Est. Les ennemis d’hier devaient être amis pour se prémunir contre Staline. Dans une perspective plus « positive », les Trente Glorieuses et la construction européenne annonçaient des « lendemains qui chantent » propices à la réconciliation. D’une certaine manière, on retrouve désormais cette convergence d’intérêts chez les pays membres de l’ex-Yougoslavie : rejoindre l’UE, la zone euro et, un jour, l’espace Schengen, vaut la peine de pardonner. On voit mal comment ces formes de projet commun pourraient s’appliquer au cas russo-ukrainien, d’autant que chacun des deux camps se tourne économiquement toujours un peu plus le dos.
… doublé d’une guerre des images inédite
Il est, enfin, un dernier problème qui rend difficile toute projection sur une paix véritable – donc durable – entre Russie et Ukraine. « Tourner la page » nécessite un apaisement, un recul dépassionné pour laisser les plaies cicatriser. Or, une nouveauté majeure marque de son empreinte quotidienne ce conflit hybride : c’est la première vraie guerre de l’ère numérique. Les réseaux sociaux, en particulier, sont totalement intégrés aux combats. Quels qu’ils soient, dans un camp comme dans l’autre : TikTok, Twitter, Meta (Facebook et Instagram), Vkontakte et OdnoklassnikiDeux sites et applications russes de réseautage social.… tous sont des outils de renseignement, de propagande et de désinformation. On peut déjà aisément imaginer les montages vidéos qui accompagneront la projection de chars Leopard, à la tourelle marquée de la croix noire de la Bundeswehr, vers le front ukrainien. Sur le modèle des clips anti-France diffusés en Afrique, les trolls de Wagner pourront oser tous les parallèles alors que la journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de la Shoah se déroule ce vendredi 27 janvier.
Mais les smartphones, de manière plus révolutionnaire, relaient aussi et surtout un témoignage immédiat, continu et direct du champ de bataille, au ras du sol ou vu de drone. On accompagne les soldats et les civils au plus près du terrain, par une immersion inédite bien différente de la version aseptisée des médias en France. Les frappes, les dommages occasionnés et même les cadavres impriment ainsi les écrans, les rétines et les cerveauxLe 26 janvier, l’agence de presse Reuters dévoilait une série d’images satellite du cimetière de Bakinskaya, un village de la région de Krasnodar, non loin de la Crimée, au Sud de la Russie. Après enquête, il est apparu qu’une section a été acquise par le groupe Wagner pour y enterrer certains de ses morts. Les images montrent la multiplication des tombes entre novembre 2022 et janvier 2023. La plupart des défunts sont des repris de justice recrutés dans les prisons par la société militaire privée.. Bien sûr, dans les « conflits d’avant », les témoignages, les photos et les films existaient. Malgré tout, pour ceux qui ne la faisaient pas, la guerre et sa dureté pouvaient jusque-là conserver une forme d’abstraction relative. Ce n’est plus le cas ; désormais, la mort est vivante, littéralement en live.
La mémoire collective pouvait, auparavant, être plus facilement sélective. Internet, lui, n’oublie pas. Russes et Ukrainiens sont perpétuellement baignés dans les images, les sons et donc l’expérience d’un conflit radicalisé. Comment envisager un hypothétique après-guerre dans ces conditions ?
La guerre Russie-Ukraine en HGGSP terminale
Aurélie Fréliez | Mar 8, 2022 |
Axe 1 – Histoire et mémoires des conflits, Axe 1 – La dimension politique de la guerre : des conflits interétatiques aux enjeux transnationaux, Axe 2 – La connaissance, enjeu politique et géopolitique | 0 |