Le document iconograhique présenté ici est sans conteste l’affiche de propagande la plus célèbre jamais produite aux États-Unis et il suffit de taper “Uncle Sam” dans google/images pour s’en convaincre. elle nous saute aux yeux, sans parler de ses multiples avatars et détournements! Il semble ainsi que cette affiche ait fixé durablement l’image que tout un chacun à travers le monde se fait d’uncle Sam, identifié immédiatement à la puissance un brin hégémonique des États-Unis.
Il n’est donc peut être pas inutile de situer cette affiche dans l’histoire.
1917 : uncle Sam mobilise l’opinion pour la guerre
Cette affiche a été réalisée pendant la première guerre mondiale, dans les premières semaines suivant l‘entrée en guerre des États-Unis en avril 1917. Le président Wilson, ayant été réélu en 1916 sur un programmme isolationniste et pacifique, la déclaration de guerre se heurta logiquement à l’hostilité de l’opinion américaine. Conscient du problème, le président Wilson créa le 13 avril 1917 la “commission on public information”, connue sous le nom de Commission Creel, pour organiser et coordonner les moyens de propagande afin de « retourner l’opinion publique» et obtenir son adhésion.(1) La commission Creel obtint des résultats spectaculaires. C’est dans ce cadre que fut conçue et diffusée cette affiche de propagande.
(1) https://clio-texte.clionautes.org/propagande-bernays-etats-unis-pendant-la-premiere-guerre-mondiale.html
Oncle Sam en agent recruteur : la fabrique d’une affiche de propagande
L’affiche a été conçue par le célèbre illustrateur américain James Montgomery Flagg (1877-1960 ), dont la signature apparaît au dessus du slogan et qui mit son talent au service de la commission Creel. Il signe ainsi son oeuvre la plus célèbre, dont l’inspiration puise à deux sources. Au centre de l’affiche, Uncle Sam (U.S), l’allégorie des États-Unis qui s’est imposée au 19ème siècle. Surtout, il s’inspire clairement de la célèbre affiche britannique conçue par Alfred Leete en septembre 1914. Les deux pays anglo-saxons étaient en effet confrontés au même problème : n’ayant pas institué le service militaire obligatoire et universelle, la conscription, leur participation au conflit reposait sur l’engagement volontaire des citoyens et la propagande avait pour mission de mettre chacun face à son devoir pour la patrie.
L’affiche britannique met au centre de l’image la figure sévère de Lord Kitchener, véritable héros national au Royaume Uni et nommé ministre de la guerre en août 1914 ; personnalité si célèbre et dont le visage est connu de tous qu’il est inutile de le nommer. James Montgomery Flagg remplace ici Lord Kitchener par la figure allégorique de l’oncle Sam.
Mais à qui ressemble oncle Sam au juste ? Comme on n’est jamais mieux servi que par soi même, J. Montgomery Flagg – qui était plutôt bel homme- s’est inspiré de son propre portrait tel qu’il se reflétait dans le miroir, ajoutant quelques mèches de cheveux blancs et une barbiche de la même couleur pour vieillir le personnage.
Vétu des 3 couleurs du drapeau américain, le haut-de-forme arborant les étoiles bleues, deux éléments sont destinés à impressionner le récepteur: le regard autoritaire censé être rivé dans les yeux du spectateur, regard qui ne souffre pas la discussion ; l’index pointé vers celui qui est placé devant l’affiche, qui est interpellé par ce face à face, cette injonction étant renforcée par le slogan : I want YOU… Cet appel à s’engager dans l’armée américaine, qui est quasiment un ordre, place chacun devant son devoir envers la nation. C’est l’appel lancé par Oncle Sam, la Nation américaine ! Plus subtilement, l’oncle qui est censé s’adresser à des hommes jeunes en âge d’être mobilisés est un homme d’une bonne cinquantaine d’années ; c’est donc peut être aussi, d’une certaine manière, un père de famille qui s’adresse à son fils et lui intime un devoir moral, conformément aux canons de la virilité de l’époque : « Engage-toi, pars à la guerre, et tu seras un homme, mon fils! »
La destinée exceptionnelle d’une affiche de propagande
L’affiche de J. Montgomery Flagg a connu un succès extraordinaire entre 1917 et 1918, puisqu’elle aurait été diffusée à 4 millions d’exemplaires au cours de cette période et a contribué à la mobilisation massive des jeunes américains dans l’armée.
Elle a fixé durablement dans la conscience collective jusqu’à nos jours la figure désormais familière de l’oncle Sam. Elle a fait depuis un siècle l’objet de multiples réemplois et nombreux détournements, s’adaptant à toutes les causes et tous les usages, mais bien souvent avec à peu près le même visage de face, le même costume, le même index accusateur…