Parlait-on de l’esclavage dans les manuels scolaires de l’époque coloniale ? Le Malet et Isaac de 1956 y consacre davantage de temps que l’essentiel des manuels de 1956.

Collection : Cours d’histoire, 4e Jules Isaac , Classiques Hachette

Auteur : André Alba, professeur agrégé, lycée Henri IV

Au début du manuel, Jules Isaac signe un, avertissement. Il y signale la nécessité de simplifier et de perfectionner les manuels scolaires en y intégrant également les acquis de la recherche historique. L’ouvrage s’ouvre d’ailleurs sur une miniature indienne de la fin du XVI représentant le Grand Mogol. On peut donc y voir une volonté d’ouverture. L’ouvrage compte 488 pages incluant 40 chapitres et deux pages de lexique. 8 chapitres sont susceptibles de nous intéresser

I – Les grands voyages de découverte, 1-12

Pas de mention particulière.

II – La formation des empires coloniaux portugais et espagnols, 12-24

«Les Indiens furent astreints à travailler sur les terres confisquées par les Espagnols. Malgré les ordonnances des rois d’Espagne, ils furent souvent cruellement traités, et beaucoup périrent dans les mines. Un prêtre de grand cœur, Las Casas, plaida leur cause devant Charles Quint.

Alors, pour se procurer une main-d’œuvre abondante et robuste, les Espagnols firent venir d’Afrique des esclaves noirs. Ce commerce des esclaves – on l’appelle la traite – allait, pendant plus de trois siècles, pousser les roitelets africains à se faire les uns aux autres des guerres incessantes pour se procurer des prisonniers et les vendre aux négriers européens.

Les Espagnols se réservèrent le commerce avec leur empire d’Amérique aussi jalousement que les Portugais se réservaient .le commerce avec leurs possessions d’Afrique et d’Asie. Chaque année, deux flottes partaient de Séville, l’une à destination de la Colombie, l’autre du Mexique : elles apportaient les produits de l’Europe et embarquaient ceux des colonies, surtout les lingots d’or et d’argent. Puis, après s’être réunies à Cuba, elles revenaient de concert en Espagne.»

En page de droite, le résumé du cours reprend l’expression «traite des nègres».

On note que

– Las Casas est présenté comme positif pour avoir soulagé les indiens alors que le texte lie directement son action à la traite négrière conçue comme conséquence de l’œuvre de Las Casas. On peut interpréter cela comme une bienveillance plus grande à l’égard des Indiens qu’envers les Africains.
https://lycee.clionautes.org/ecrire/?exec=article_edit&new=oui&id_rubrique=392#
– les rois africains sont des roitelets. On insiste sur leur rôle dans la traite. (Notons qu’aujourd’hui, on entend et on lit souvent le lapsus peuplade tribu ou ethnie en ce qui concerne les Africains alors qu’on parle plus volontiers de nation ou de peuples pour les autres. Dans ce manuel, le résumé parle de tribus lorsqu’il évoque les peuples en lutte contre les Aztèques avant Cortez.

III – Aspects nouveaux de la vie économique, 25-34

Rien de particulier.

XVI – Louis XIII et Richelieu, 182-192

On sent la sympathie du manuel pour Richelieu lorsqu’il commence le paragraphe sur la politique d’hostilité aux protestants par : Les protestants formaient un État dans L’État. C’est bien d’une logique de l’État qu’il s’agit et le discours de l’histoire se confond, encore plus qu’aujourd’hui avec la vie de l’État.

La phrase qui nous intéresse est courte :

«Il tenta également d’accroître l’empire colonial : il acquit quelques Antilles, fonda des comptoirs à Madagascar et au Sénégal, envoya des colons et des missionnaires au Canada.»

XXIII – Colbert et l’enrichissement de la France, 260-271

On est plus réservé aujourd’hui quant au bilan économique du colbertisme. Le manuel date d’une époque où l’on était convaincu des succès de Colbert.

6 lignes permettent d’évoquer la concurrence hollandaise, la création des Compagnies de Commerce et les comptoirs de Pondichéry et Chandernagor. Viennent ensuite ces quatre lignes: Colbert essaya de mettre en valeur les Antilles françaises et le Canada. Aux Antilles, la Martinique, la Guadeloupe, Sainte-Lucie et la moitié occidentale de l’île de Saint-Domingue s’enrichissaient dans la culture de la canne à sucre. Le Canada exportaient surtout ses fourrures.

Ainsi, si la traite négrière est apparue avec les empires coloniaux ibériques, les Français mettent en valeur et enrichissent. On comprend que le point de vue de l’esclave ne compte pas. Au reste, on se demande, en dehors des responsables du négoce et de l’État, si le petit peuple de France s’est enrichi de l’affaire. On note que le Code noir, rédigé par Colbert et publié par son successeur et fils, en 1685, deux ans après sa mort, n’est pas mentionné malgré la longueur du chapitre.

XXXIV – Les philosophes et les idées nouvelles au XVIIIe siècle, 411-422

Tolérance et démocratie sont évoquées en présentant, comme il se doit, Voltaire et Rousseau. On insiste longuement sur l’abolition de la torture à travers l’affaire Calas. Condorcet est évoqué pour présenter les espoirs de paix universelle mais de l’esclavage, aucune trace.

Pourtant, le chapitre se termine sur cette gravure du café Procope où l’on discute… de l’homme, … en buvant du café des Antilles. A la page suivante, un chapitre consacré au despotisme mentionne l’abolition de la torture, du servage et même celle de la peine de mort par le margrave du Pays de Bade. On n’oublie pas de préciser que Catherine II de Russie ne fit rien pour les serfs qui étaient alors parmi les derniers d’Europe avec ceux de Prusse, le servage étant tombé en désuétude depuis longtemps en Europe occidentale (malgré le statut des serfs du Nivernais).

XXXVIII – Les Européens en Amérique aux XVIIe et XVIIIe siècle, 455-466

3. Les Anglais en Amérique

A la mort de la reine Élisabeth (1603), l’Angleterre ne possédait encore aucune colonie. Au cours du XVIIe siècle, elle s’empara de quelques Antilles (particulièrement de la Jamaïque en 1655) et des dizaines de milliers d’Anglais s’établirent sur la côte orientale des États-Unis actuels […]

Note de bas de page : Quand le petit~fils de Louis XIV devint roi d’Espagne (1700), les marchands français purent commercer avec l’Amérique espagnole. Au traité d’Utrecht, l’Angleterre contraignit l’Espagne à maintenir strictement le régime de l’exclusif – sauf à l’égard des marchands anglais, qui obtinrent le monopole de la traite en Amérique espagnole et le droit d’envoyer chaque année en Amérique une certaine quantité de marchandises anglaises.

C’est la seconde fois que l’ouvrage évoque la traite. La première mention concernait les Espagnols et celle-ci concerne également les Anglais.

«Pendant ce temps, beaucoup plus au Nord, des puritains, adversaires de I Église établie, fondèrent de 1620 à 1640 les quatre colonies de la « Nouvelle- Angleterre » : la plus importante était le Massachusetts. Les deux groupes du Nord et du Sud étaient séparés par d’immenses forêts et par des territoires hollandais. Ceux~ci furent conquis par les Anglais (1664) et formèrent trois nouvelles colonies, dont celle de New York ; quant à la région forestière elle constitua la Pennsylvanie (1681). Telle fut l’origine des treize colonies anglaises d’Amérique, qui prirent le nom d’États- Unis, lorsqu’elles se furent déclarées indépendantes en 1776. Une forte natalité et une continuelle émigration expliquent qu’elles comprenaient en 1763 environ 2 500 000 Blancs.»

Le manuel ne trahit pas forcément l’idée qu’on ne juge pas nécessaire de compter les noirs. Compte tenu de l’état de l’historiographie des Indiens ou de l’esclavage en 1956, il est difficile de connaître à cette époque les effectifs indiens comme les effectifs des esclaves. Il n’en reste pas moins qu’il ne justifie pas la mention du mot blanc sans autre mention.

A la différence des Espagnols et des Portugais, les Anglais refusèrent toujours de frayer avec les indigènes d’Amérique et de leur faire une place dans leur société : ils ne tentèrent ni de les convertir au christianisme, ni de les réduire en esclavage. Ils ne pensaient qu’à les refouler, toujours plus loin, vers l’intérieur, et à défricher les forêts où les Indiens vivaient de la chasse. De là entre indigènes et colons des guerres incessantes, d’une atroce cruauté.

Une façon délicate de dire que les Anglais se sont moins volontiers métissés que les autres colonisateurs ? Une façon de justifier le principe colonial assimilationniste en songeant à l’Union Française de 1956 ? On a en tout cas aujourd’hui l’impression désagréable, que l’auteur veut expliquer les guerres par l’absence d’une politique réaliste qui serait dans l’esclavage et/ou dans l’évangélisation. Il est dommage qu’il n’ait pas songé à mentionner le radicalisme des méthodes françaises en Guadeloupe où l’on massacra les Caraïbes sans autre forme de procès à la suite de guerres incessantes et d’une atroce cruauté.

4. Organisation des colonies anglaises

Dans chaque colonie un gouverneur, venu d’Angleterre, représentait le roi […]

L’organisation sociale et économique n’était pas la même dans toutes les colonies. Dans le Sud les planteurs, en majorité de religion anglicane, vivaient sur de grands domaines où des esclaves noirs amenés d’Afrique cultivaient le tabac et le riz. Dans le Nord et le Centre, le colons, dont presque aucun n’était anglican, étaient de petits paysans.

Le mot «esclave» est placé en italique. On note qu’on n’a pas pensé à le faire pour le chapitre consacré à la France. Au reste, on peut se demander ce qui motive la mention de l’esclavage. Outre le simple fait de vouloir faire connaître l’odieux, il y peut être la volonté technico-pédagogique d’en parler afin que les élèves comprennent les enjeux de la guerre de Sécession qu’ils sont censés étudier l’année suivante.

Ils défrichaient la forêt et, dans les clairières qu’ils y avaient ouvertes à grands coups de hache, ils construisaient leur hutte en rondins, semaient du maïs et élevaient des porcs. Bientôt un village se formait, une école s’ouvrait et la civilisation européenne progressait lentement vers l’Ouest. Dans les villes, dont les plus importantes étaient Boston, Philadelphie et New York, on trouvait des négociants, des hommes de loi, des médecins. L’exportation des fourrures, des bois de construction, de la farine, du poisson salé, la fabrication du rhum, la traite des nègres, l’importation des produits anglais donnaient lieu à un commerce lucratif.

Devenu péjoratif (sauf en français des îles et en créole) , le mot nègre était alors couramment employé dans le français de l’époque […]

5. Les Français en Amérique.

En Amérique les Français occupèrent d’une part, la Guyane et quelques Antilles, d’autre part le Canada. Aux Antilles ils s’emparèrent d’abord de la Martinique et de la Guadeloupe, puis de la partie occidentale de l’île espagnole de Saint-Domingue.

Il s’agit d’une simplification ou d’une omission. Comparons ce texte à celui qui évoque l’arrivée des Anglais. A la vérité, la colonisation française commence à Saint-Christophe (actuelle Saint-Kitts) en 1625, dix ans avant la Guadeloupe. Elle se fait de concert entre corsaires français et anglais qui se partagent l’île et y massacrent les Caraïbes. Les premiers esclaves y sont signalés au moins en 1639.

A partir de 1650, ces îles s’adonnèrent à la culture de la canne à sucre : à la mort de Colbert, deux cents navires français partaient chaque année de Rouen, Nantes, La Rochelle et Bordeaux pour aller « aux Iles ». Comme à la Jamaïque ou en Virginie, les riches planteurs blancs faisaient travailler des esclaves, amenés du Sénégal ou du golfe de Guinée.

L’information n’est pas claire : ce sont les îles, sans autre précision, qui cultivent la canne avant qu’on nous parle d’esclaves et de planteurs. Remarquons que le mot esclave n’est pas en exergue alors qu’il l’était lorsqu’il s’agissait des Anglais.

Sous le règne d’Henri IV, Champlain avait fondé sur les bords du Saint-Laurent la colonie du Canada. A la différence des Anglais, les colons français témoignèrent aux Indiens beaucoup de sympathie. Ils s’appliquèrent à les convertir au catholicisme et les traitèrent en égaux. Les trappeurs, qui faisaient la chasse aux animaux à fourrures, vivaient à la manière des Indiens et épousaient souvent des Indiennes converties.

A la vérité, les Anglais sont alliés des Iroquois et des Mohicans et les Français n’ont pas le monopole des bonnes relations avec les autochtones. Quelques pages plus loin, le manuel le confirme en montrant un Français du Canada dont on indique qu’il part en guerre contre les Anglais ou contre les Iroquois.

Colbert organisa le Canada comme une province française : il mit à sa tête un gouverneur et un intendant, et il y envoya de nombreux paysans français. Le pays qui comptait seulement 3 000 Européens en 1666 en comptait près de 20 000 en 1715.

Le Canada n’a jamais rapporté autant que les îles mais on note que les précisions données sont autrement plus importantes. Idem pour la Louisiane […]

Paragraphe consacré à la guerre de 7 ans (1759-1763)

A Versailles, les ministres ne s’intéressaient qu’à la guerre en Allemagne contre Frédéric II : au Canada, ils envoyèrent en tout 326 hommes de renfort. En Angleterre, au contraire, Pitt, premier ministre de 1757 à 1761, était décidé à occuper coûte que coûte le Canada et la vallée de l’Ohio : il y envoya plus de 30 000 hommes.

Malgré l’abandon où ils furent laissés, les Français prirent vaillamment l’offensive. Sous le commandement d’un admirable officier, le marquis de Montcalm, ils infligèrent d’abord de rudes défaites aux Anglais. Mais, par la suite, ceux-ci, de plus en plus nombreux et aidés par les colons d’Amérique, réussirent à prendre la ville de Québec après une bataille acharnée où Montcalm et son adversaire, le général Wolfe, furent tués l’un et l’autre (1759). L’année suivante, Montréal dut capituler à son tour. Le Canada était perdu. Dans le même temps, les Antilles françaises, à 1’exception de Saint-Domingue, tombaient aux mains des Anglais.

Au traité de Paris (1763), la France abandonna à l’Angleterre le Canada, la vallée de l’Ohio et la partie de la Louisiane située à l’est (sic) du Mississippi, à l’exception de la ville de la Nouvelle-Orléans. C’est à peine si elle recouvra la Martinique et la Guadeloupe et, près de Terre-Neuve, les îlots de Saint-Pierre et Miquelon. Comme ses alliés espagnols avaient, de leur côté, dû céder la Floride aux Anglais, Louis XV leur donna à titre de compensation la ville de La Nouvelle-Orléans et la Louisiane à l’ouest du Mississipi.

Les Antilles restent des proies, des objets d’échange, des possessions. A vrai dire, les esclaves, population majoritaire, ne sont guère concernés par ces changements de souveraineté.

A l’égard des colons français du Canada, le gouvernement anglais fit preuve d’une très large tolérance. La loi de Québec (1774) leur permit de conserver leur langue, leur religion et usage de la loi française dans leurs tribunaux. Les descendants de ces colons forment aujourd’hui, sous le nom de Canadiens français, le tiers de la population du Canada.

Quid des descendants des esclaves ? Ils étaient alors citoyens depuis 1848 et Départements d’Outre-mer depuis 10 ans.

RÉSUMÉ

1. A côté des Espagnols et des Portugais, les Hollandais, les Français et les Anglais tentent, à partir de 1600, de fonder en Amérique des empires coloniaux.

2. Espagnols et Portugais explorent l’intérieur de l’Amérique du Sud, mais leurs possessions ne varient guère depuis la fin du XVIe siècle, malgré les progrès des Espagnols au nord (sic) du Mexique.

3. Les Anglais occupent quelques Antilles et forment treize colonies sur la côte orientale de l’Amérique du Nord.

4. Les colons anglais s’enrichissent et supportent sans impatience l’autorité, assez légère, du gouvernement de Londres.

5. Les Français développent la culture de la canne à sucre dans les Antilles et occupent le Canada oriental. Ils explorent ensuite l’immense territoire de la Louisiane.

6. Depuis la fin du XVIIe siècle, colons français et anglais sont en constante rivalité. Le traité d’Utrecht (1713) enlève à la France Terre-Neuve et l’Acadie. Au XVIIIe siècle le conflit se concentre dans la vallée de l’Ohio.

7. La lutte décisive se joue de 1754 à 1760. Malgré l’héroïsme de Montcalm, la France perd, au traité de Paris (1763), le Canada et la Louisiane.

Les Anglais occupent et s’enrichissent. Les Français développent (la culture de la canne) et explorent !

La fin du chapitre expose deux documents. Le premier est une lettre de Colbert à l’intendant du Canada. On imagine que l’auteur avait également entendu parler de l’existence du Code Noir. L’autre document est désormais très connu. Il s’agit d’une gravure représentant une habitation-sucrerie à Saint-Domingue. Voyons le commentaire qui l’accompagne.

UNE PLANTATION A SAINT-DOMINGUE

A gauche, dans le lointain, une plantation de canne à sucre. Trois esclaves apportent des cannes au moulin, que l’on voit au centre de la photographie (sic). Il se compose de trois tambours que fait tourner un attelage de bœufs, et entre lesquels les cannes sont broyées. Le suc qui sort des cannes s’appelle le vesou. Il arrive par une longue canalisation à la chaudière, où il devient un sirop brunâtre. Ce sirop, refroidi et cristallisé, est le sucre brut ou cassonade Une fois purifiée, la cassonade devient le sucre raffiné Au premier plan, à droite, la case des nègres. Au fond à droite, la maison du planteur.

Délibérément, l’auteur, a choisit un propos technique, fort intéressant il est vrai, mais qui fait peu de cas de la vie de l’esclave. Cela trahit un manque d’intérêt qui n’est peut être qu’autocensure inconsciente. Huit ans avant la parution de ce livre, à l’occasion du centenaire de l’abolition de 1848, un sociétaire de l’Académie des Sciences Coloniales – actuelle Académie des Sciences d’Outre-mer, faisait remarquer sans rire à l’ex-député guadeloupéen Candace combien l’esclavage français avait été plus humain que les autres. Est-ce le même sentiment qui fait négliger par l’auteur d’intéresser l’élève à la condition de l’homme ? On mesure la différence avec les manuels édités en 1998, où, quand on n’oublie par de traiter la question, on insiste sur la condition servile.

XXXIX – La formation des États-Unis, 467-477

Le chapitre s’ouvre sur une introduction qui indique que les États-Unis sont le premier État libre du Nouveau Monde . Le point de vue est donc particulièrement ethnocentrique en négligeant toutes les civilisations développée auparavant.

La paragraphe consacré à l’organisation des États-Unis réaffirme cette notion en expliquant que la plus considérable des conséquences de la guerre fut la création d’un État nouveau, les États-Unis, premier Etat libre fondé par des Européens hors d’Europe. C’est plus précis mais on devine que la notion de liberté ne s’applique qu’aux blancs. Le manuel le confirme plus loin en affirmant que les Philosophes français étaient à la base de la Déclaration des Droits de 1774 . C’est oublier un peu vite les philosophes de langue anglaise comme John Locke, mort en 1704, et la déclaration anglaise des Droits (Bill of Rights, 1689).

Les manuels de 1956 étaient plus détaillés que de nos jours. Ainsi, on mentionne la présence du jeune Georges Washington dans l’attaque d’un poste français en Virginie (sans toutefois parler du massacre de la garnison, peut être par retenue en souvenir d’Omaha Beach et pour les troupes américaines de l’Otan présentes en France jusqu’en 1966). Dans le même ordre d’idées, il est dommage de pas préciser la présence de nombreux soldats de couleur dans ces fameux contingents français venus aider les Insurgents d’Amérique.

Conclusion

Écrit dans les dernières années du temps de l’Empire, rebaptisé «Union française» en 1946, le manuel Hachette 4e, 1956 ne négligeait pas autant qu’aujourd’hui, les pages consacrées à la colonisation. Pas moins de 8 chapitres sur 40 !

Cela étant, on note que l’esclavage n’est abordé qu’avec parcimonie en dépit de la place consacrée aux empires coloniaux. C’est après avoir expliqué le rôle des Espagnols puis celui des Anglais, qu’on mentionne laconiquement l’existence de l’esclavage dans les colonies françaises ; esclavage qu’on ne juge pas important de mettre en exergue comme on l’a fait quelques lignes avant pour l’Angleterre. Cela participe d’une idéologie dominante qui veut que les Français soient des bâtisseurs, des héros, meilleurs colonisateurs que les Anglais ou les Allemands). Même lorsqu’on choisit de montrer une habitation-sucrerie, il s’agit avant tout d’évoquer une France technicienne et non un instrument d’oppression. Mais pouvait-on parler vraiment de prospérité quand elle ne concernait qu’une minorité alors que la majorité travaillait sur les habitations sucreries ? En définitive, ce manuel d’il y a quarante ans avait plus souvent l’occasion de parler de l’esclavage mais en parlait moins, peut être par peur de ne pas savoir jusqu’où seraient allé les interrogations des élèves à l’époque où tout habitant de l’Union française n’avait pas le droit de vote. Les mots «traite» et «esclavage» ne figurent pas au lexique.

L’esclavage dans un manuel scolaire de la période coloniale
Malet et Isaac, 4e, 1956