Il n’y a pas eu de révolution industrielle en Europe au XIXème siècle.
Ce grand classique des programmes d’histoire-géographie du secondaire mérite d’être revisité à l’aune des dernières avancées historiographiques. Cette petite activité proposée ici se donne pour ambition de redonner de la complexité au phénomène au travers des notions de domestic et factory system.

Restaurer le temps long et la complexité de l’histoire

La tradition historiographique a longtemps désigné par le terme de « révolution industrielle », les transformations des économies, du monde du travail et des sociétés d’Europe de l’Ouest et des Etats-Unis à partir du milieu du XVIIIème siècle.
Néanmoins, les dernières avancées sur le sujet préfèrent évoquer une « première industrialisation », expression qui permet de décrire un processus à l’œuvre s’étalant dans le long terme, du milieu du XVIIIème à la fin du XIXème siècle.
En effet, les changements dans la manière de produire, guidés par un impératif d’accroître la production, se sont mis en place progressivement et non linéairement.
Domine ainsi au XVIIIème siècle, le travail à domicile ou domestic system qui consiste alors à distribuer le travail entre les foyers des villages alentours en leur fournissant la matière première et en récupérant le produit fini ou semi-fini contre rétribution (permettant aux ruraux d’accroître leurs revenus en période hivernale).
Ce système est ensuite progressivement concurrencé par le factory system, innovation dans le travail, consistant à passer d’un travail dispersé dans la campagne environnante à un travail regroupé dans des ateliers en périphérie urbaine (la future usine) permettant alors de mieux contrôler la qualité du travail et de réduire les coûts de transports et de gestion, mais également d’encadrer une main d’œuvre qui est alors dépossédée de son temps et de son travail.
Malgré tout, ces deux systèmes cohabitent encore tout au long du XIXème siècle avant que le factory system, le travail en usine, ne supplante définitivement le travail à domicile.
C’est ce système économique complexe, où la géographie a toute son importance, que cette activité tente, modestement, de faire entrevoir aux élèves en insistant sur la progressivité de la naissance du monde de l’usine.
Mais, pourquoi est-on passé du domestic au factory system ?

Démêler les origines de l’industrialisation : la demande précède l’innovation

Longtemps les historiens de l’économie ont fait naître la « révolution industrielle » d’une vague d’innovations technologiques dont, dans le fond, ils ne savaient expliquer l’origine…
Cependant, en économie, il n’y a pas d’innovation (synonyme de risque pour l’industriel) sans demande et pas de demande sans besoin. En effet, la manière de produire ne s’est transformée que parce qu’une demande alimentée, générée par de nouveaux besoins, s’est révélée et a imposé de produire en plus grande quantité.
Là aussi, l’évolution de la demande est liée à la lente transformation des modes de vie des sociétés européennes de l’Ouest et des Etats-Unis : hausse du niveau de vie (plus en Angleterre que sur le continent, d’après les inventaires après décès), développement du phénomène de mode avec l’essor des boutiques et de leurs vitrines jusque dans les petites villes, élargissement des circuits de production, essor de l’urbanisation et d’une classe moyenne…
Ainsi, certains historiens n’ont pas hésité à parler de « révolution des consommateurs », en particulier pour l’Angleterre et les Etats-Unis, dès la fin du XVIIIème siècle dans les grandes villes.
Cette nouvelle demande pousse alors les entrepreneurs à accroître leur production, d’abord de manière extensive, avec plus de travail, puis, lorsque ce facteur rencontra ses limites, par la mécanisation. Mais cette mécanisation n’a pu avoir lieu que parce que les entrepreneurs étaient à la recherche de solutions, face à une pénurie de main d’œuvre (limite du domestic system), pour économiser le facteur travail.
Enfin, la deuxième innovation, découlant de la première, fut celle concernant la réorganisation du travail passant du travail à domicile dispersé au travail regroupé à l’atelier. Cette évolution ne fut pas systématiquement une nécessité économique mais également le fruit d’une volonté de mieux contrôler la main d’œuvre et de sécuriser les secrets de fabricationSOUGY Nadège et VERLEY Patrick, La première industrialisation (1750-1880), La documentation photographique, 2008, p. 10..

Pour en savoir plus…

Un des grands spécialistes français de l’histoire de l’industrialisation est Patrick Verley.
Deux petits ouvrages de lui, simples et classiques :

L’indispensable Documentation photographique
SOUGY Nadège et VERLEY Patrick, La première industrialisation (1750-1880), La documentation photographique, 2008.

http://www.clio-cr.clionautes.org/spip.php?article1778

http://www.clio-cr.clionautes.org/spip.php?article1845

Et un petit ouvrage (au titre maladroit, donc), VERLEY Patrick, La première révolution industrielle, Armand Colin, coll. 128, 2ème éd., 2008.

Sur le sujet, cf. les travaux de Jan De Vries, notamment à propos du concept de « révolution industrieuse » :

Information transmise par Vincent Capdepuy sur H Français

http://www.econ.ucdavis.edu/faculty/gclark/210a/readings/de%20Vries%20industrious.pdf