From: « Claude Robinot »

Effectivement le salaire moyen d’un ouvrier parisien tourne autour de 5F/jour vers 1900. Le coût d’un livre, environ 300-500 pages édition papier in 8° – 3F50, d’après le catalogue de la bibliothèque Charpentier spécialisée dans la publication de récits de voyages (Goncourt, Nerval, Huret, Lorrain…) C’est donc encore un luxe pour les classes populaires urbaines, en revanche la presse est bon marché (5 cts) les achats de livres sont surtout des almanachs ou des romans de gare. La lecture est pourtant accessible et se développe à travers le réseau des bibliothèques municipales, paroissiales, scolaires, syndicales, sans oublier les fameuses distribution de prix de fin d’année. Souvent les seuls livres d’un foyer populaire. Au milieu des années 30 un livre équivalent vaut 12 F dans un autre contexte monétaire mais j’ignore le salaire journalier à cette date. Il paraît difficile de parler de société de consommation pour la France, même si le vélo et la TSF, tout en restant très chers sont accessibles aux classes populaires. (cf les pages que F. Cavanna y consacre dans « les Ritals »). A titre de comparaison vers 1900 un vélo vaut 500 F soit, selon Eugen Weber dans « fin de siècle » : « deux mois de solde d’un sous-lieutenant, trois mois de traitement d’un instituteur ». Sur la « belle époque » on peut utiliser avec les élèves : « Une fin de siècle 1895-1900 – Les années Lumières » Un film de Jean Chapot sur un texte de Claude Roy. Il s’agit d’un tour du monde imaginaire et imaginé à partir des archives des opérateurs Lumière. VHS Editions Montparnasse, mais est-il encore disponible ? Mais à propos quel colistier sait qui est l’auteur de l’expression « belle époque » qui figure dans le programme de première ? Pour ma part je n’ai jamais réussi à trouver.
Claude Robinot

From: Laurent Gayme

C’est un sujet de débat historiographique, bien présenté dans:
– Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli dir., La culture de masse en France de la Belle Époque à aujourd’hui, Paris, Fayard, 2002
– pour Edgar Morin (L’Esprit du temps I. Névrose, Paris, Grasset, 1962) la culture de masse est née aux États-Unis à la veille de la Seconde Guerre mondiale, s’est exportée en Europe après 1945
– pour Jacques Portes (chap. 1), , des formes de culture de masse apparaissent aux États-Unis dans la 1e moitié du XIXe et s’y épanouissent dans la 2e moitié : dime novels (romans de gare à 10 sous), théâtre et théâtre de vaudeville, Wild West Show de Buffalo Bill, puis cinéma fin XIXe – début XXe
– pour Jean-Yves Mollier (chap. 2), on peut parler de culture de masse pour la Belle Époque :

les taux de pénétration, dans une France d’à peine 40 millions d’habitants, des grands quotidiens nationaux tirant à plus du demi-million d’exemplaires (Le Petit Parisien, Le Journal, Le Petit Journal, Le Matin), est égal à celui de Paris Soir, France Soir et autres dans les années 1950. Le petit Journal est lancé en 1863 à 1 sou. les progrès de l’alphabétisation (moins de 10% d’analphabètes adultes complets, immigrés inclus, en 1914, moins de 4% environ pour les filles et les garçons de 10-20 ans : Mollier insiste sur les énormes tirages de l’édition scolaire), le culte du fait divers (cf. les travaux de Dominique Kalifa), le quotidien comme seule source d’information expliquent cela (110 000 exemplaires vendus en 1792, 180 000 en 1846, un million en 1870, trois en 1880, 9 à 10 en 1914). Il y a aussi une presse spécialisée puissante après 1860, y compris avec la photo (Je Sais Tout 200 000 exemplaires en 1906, Excelsior 100 000 en 1910, Le Tour du Monde, La Nature, le Petit Écho de la Mode 300 000 en 1900) Ajouter les catalogues (celui de la Manufacture de St Étienne tire à 300 000 exemplaires en 1889, à plus de 800 000 en 1910), les journaux amusants, la BD, la presse pour la jeunesse (L’Épatant à 5 cm avec les Pieds Nickelés)

idem pour la chanson : Frou-Frou a été vendue à plus de 2 millions d’exemplaires en 1914, La madelon ou Viens Poupoule ont fait le tour de la France grâce au café-concert et aux feuilles volantes

idem pour les romans sentimentaux : Chaste et Flétrie de Charles Mérouvel (1er titre de la collection « Le Livre Populaire » d’Arthème Fayard en 1905, vendu 13 sous, soit 2 euros) tire à 80 000 exemplaires. Fantômas, Chéri Bibi, Arsène Lupin sont aussi connus à l’époque qu’ OSS 117 dans les années 1960. Il y a déjà du feuilleton en BD (Les Pieds Nickelés), des revues féminines (Le Petit Écho de la Mode avant 1914)

dès 1839, Sainte-Beuve dénonce la « littérature industrielle » née avec le roman-feuilleton : sont visés Alexandre Dumas, Eugène Sue, Paul Féval. Dumas avait lancé ses Oeuvres Complètes dès 1846 dans une collection à 2F (6 euros). En 1838 le volume de fiction passe de 15 F en moyenne à 3,50 F dans la « Bibliothèque Charpentier », dont un concurrent, Paulin, lance en 1846 sa collection bon marché « Bibliothèque de Poche ». En 1853-55 Hachette lance la « Bibliothèque des chemins de fer » à 1 F (3 à 4 euros) tirée à 6600 exemplaires par volume. On dépasse les 100 000 avec Fayard en 1904-1905 (« Modern Bibliothèque » illustrée à 0,95 F soit à peine 3 euros, « Livre populaire » à 0,65 F soit 2 euros). Puis « Le Livre de Poche » chez Tallandier en 1916 ex. Pêcheur d’Islande de Loti : vendu jusqu’en 1906, toutes éditions confondues, à 58 000 exemplaires, le titre entre en 1906 dans la « Nouvelle Collection Illustrée » de Calmann-Lévy. En 1919 il aura été vendu à 500 000 exemplaires.

le culte des vedettes existe aussi (cf. Sarah Bernhardt, Mayol, Mistinguett,, Dranem, Chevalier, etc.). Le théâtre est, avant Hausmann, interclasses : les prix les plus bas sont inférieurs à 2 F (Opéra-Comique, Théâtre Français), à 0,75 F (2,5 euros) ou moins sur le « boulevard du Crime ». À Paris on monte 32 000 pièces en 1800-1900, inexplicable par les sorties nocturnes de la bourgeoisie (15% de la population). Il faut ajouter le succès du caf’ conc’ à partir de la fin du Second Empire (69 millions de recettes en 1913 soit 215 millions d’euros)

l’industrie du loisir aussi cf. le succès des expos universelles (entrée de 1 à 2 F soit 3 à 6 euros) comme l’Exposition Universelle de 1889 avec la Tour Eiffel : 16 millions d’entrées en 1878, 32 en 1889, 50 en 1900

il y a aussi la culture de masse dans la rue : mouvements de rue, kiosques et lieux de vente d’imprimés, camelots et chanteurs, placars et affiches.

Bref une vraie révolution culturelle de masse à la Belle Époque.

Laurent Gayme, CLG de la Vaucouleurs, Mantes la Ville (78)