Depuis 1789, les rares nouvelles de France, sont l’occasion, pour les blancs des îles, de se déterminer en fonction d’antagonismes locaux. Il n’y a pas aux colonies de RévolutionAimé Césaire, Toussaint Louverture, la Révolution française et le problème colonial, Paris, 1960. Française, mais des révolutions locales déclenchées par le stimuli extérieur. Les mots sont bien ceux de la Révolution de Paris (patriotes, royalistes, gardes nationales, liberté, égalité, etc.) mais les oppositions sont locales. A six semaines de la France, les blancs interprètent et créolisent la déclaration du 26 août sans songer qu’elle puisse être étendue aux autres hommes. Ainsi, pour les planteurs, la liberté consiste en l’autonomie vis-à-vis du pouvoir centralAnne Pérotin, Être patriote sous les Tropiques, La Guadeloupe, la colonisation et la Révolution (1789-1794), Société d’histoire de la Guadeloupe, Basse-Terre, 1985, p. 11.. C’est dans un tel contexte qu’on proclame l’égalité des libres (28 mars 1792)Décret signé le 4 avril par Louis XVI., la République et l’abolition du 16 pluviôse an II). L’exécution des décrets reste cependant limitée à deux territoires.

Conservatrices et autonomistes, les assemblées coloniales, des MascareignesIle Bourbon (la Réunion à partir de 1793) et Ile de France (Maurice, française jusqu’en 1810-1814). renvoient les agents de la République. L’esclavage reste donc en place jusqu’au XIXe. La situation est plus complexe aux AntillesPartie française de Saint-Domingue (que ses habitants, qui qu’ils fussent, ne cessèrent jamais d’appeler Haïti), Martinique, Guadeloupe et dépendances (les Saintes, la Désirade, Marie-Galante, et la partie française de Saint-Martin, Saint-Barthélémy est alors suédoise depuis 1784), Sainte-Lucie et Tobago., où l’on rencontre plusieurs cas de figures. D’abord, une colonie où l’esclavage est déjà aboli : Saint-Domingue. Ensuite, celles où l’on exécute le décret de pluviôse : Guadeloupe et Guyane. Enfin, celles où royalistes et Anglais empêchent toute évolution : Sainte-Lucie, Tobago et la Martinique.

Lacrosse
Lacrosse
En décembre 1792, le lieutenant de vaisseau Jean-Baptiste de Lacrosse a été accueilli par les canons de Martinique et de Guadeloupe. Réfugié à Sainte-Lucie, il a dû reprendre les îles une à une après avoir appelé au ralliement des patriotesA. Pérotin, op. cit.. Arrivé en Guadeloupe le 5 janvier 1793, il y a proclamé la République, décrété l’égalité et embrassé la première personne de couleur rencontrée. Les Guadeloupéens libres de couleur sont donc déjà des citoyens de la République.

Mais l’euphorie révolutionnaire a été de courte durée. La Martinique est restée fidèle au drapeau blanc. En avril 1793, les Anglais étaient à Tobago. L’année suivante (23 mars au 11 avril 1794), à la grande satisfaction des royalistes créoles, ils ont pris la Martinique, Sainte-Lucie puis la Guadeloupe. La Convention, qui venait alors de voter l’abolition, ignorait tout de la situation sur place.

Le 23 avril 1794, appareille d’Aix, une petite flotte conduite par Victor Hugues, commissaire à qui l’on confie in extremis le décret de pluviôse. Ayant pris connaissance de la présence anglaise, Hugues débarque par surprise à la Guadeloupe.

Les troupes de Victor Hughes au fort Fleur d'Épée (6 juin 1794 /18 prairial an II)
Les troupes de Victor Hughes au fort Fleur d'Épée (6 juin 1794 /18 prairial an II)
Il y proclame l’abolition de l’esclavage, recrutant aussitôt une armée révolutionnaire. Ci-devant esclaves et libres de couleur se rallient en masse. Parmi les officiers, figurent des hommes de couleur forts d’une sérieuse expérience militaire. Le colonel Louis Delgrès est de ceux-la.
Portrait de Delgrès (probablement inexact)
Portrait de Delgrès (probablement inexact)

L’armée républicaine reconquiert la Guadeloupe après que les Anglais aient été massacrés à Pointe-à-Pitre, par les canons françaisOrigine de la place de la Victoire, ancienne place Sartine. Elle reprit le nom de Sartine en 1940-1943 pendant la période de soumission à Vichy..

Victor Hugues abolit l'esclavage en Guadeloupe sous la Convention et le rétablit en Guyane sous le ConsulatHugues installe alors un tribunal révolutionnaire et une guillotine à Pointe-à-Pitre, devenue Port-la-LibertéL’historiographie blanche-créole décrit de nombreux massacres cf. Auguste Lacour, Histoire de la Guadeloupe, t. 2, (1789- 1798), Basse-Terre, 1857, p. 343 sq., cf. aussi, Alain Buffon, «Regard d’un historien créole sur la Révolution : A Lacour (1805-1869)», Bulletin de la Société d’histoire de la Guadeloupe, nº106, 1995, p. 63 rappelant la mise au point d’A. Pérotin, op. cit. p. 195 : sur 20.000 blancs, il y eut 600 suspects, près de 200 détenus de juin 1793 à avril 1794 et deux massacres d’environ une vingtaine de victimes chacun.….

Très vite on tente d’instituer un système de travail forcé pour obliger les anciens esclaves à réintégrer les habitationsL’habitation-sucrerie est l’unité de base du système spatial antillais de l’époque. Elle est à l’origine de ce que les guides touristiques appellent improprement «villages» ou «hameaux». désertées. Dans les autres îles, les Anglais, se maintiennent avec le soutien des planteurs royalistes.


  1. Que signifie le terme «liberté» pour les planteurs ?
  2. La situation est-elle identique dans chaque colonie ?
  3. Quand la République (sept. 1792) est-elle proclamée en Guadeloupe ? Pourquoi ce délai ? Pourquoi n’est-elle pas proclamée en Martinique ?
  4. Pourquoi les Français battent-ils les Anglais à la Pointe-à-Pitre ?
  5. L’esclavage est-il réellement aboli ?